Lettre ouverte : les sports de pleine nature menacés
Le 22 juillet 2021
En cette période anxiogène de pandémie, le besoin de nature se fait plus pressant et correspond à une véritable attente de nos concitoyens. Les activités physiques en intérieur étant soumises à des restrictions sanitaires, l’accès du plus grand nombre aux sites naturels permet de favoriser l’exercice d’une pratique sportive salvatrice, en assurant un bien-être physique et mental indispensable en ces temps de réduction de nos espaces de vie.
L’exemple de l’escalade en falaise nous interpelle en ce qu’il illustre les menaces de restriction des pratiques et des accès aux sites pour toutes les activités de pleine nature.
L’augmentation constante du nombre de pratiquants de l’escalade, aujourd’hui plus d’un million, dont la moitié sont des femmes, traduit l’intérêt porté à cette activité sportive, qui croît de 10% par an. Économiquement accessible au plus grand nombre, ce sport rassemble, récompense l’effort et le dépassement de soi, exalte l’esprit de liberté et célèbre la beauté de nos paysages, des blocs de Fontainebleau aux falaises du Verdon en passant par les Calanques. De plus, nos 2500 sites naturels d’escalade représentent un intérêt touristique majeur pour certains départements et attirent chaque année de nombreux grimpeurs français et étrangers, contribuant à la valorisation de nos territoires.
Or, les pratiques sportives en milieu naturel sont gravement menacées pour des raisons juridiques qui nous amènent à souhaiter une intervention urgente du législateur.
En droit français, on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par des choses « que l’on a sous sa garde » (article 1242 du code civil). Or, depuis un arrêt récent de la cour d’appel de Toulouse (21 janvier 2019), confirmé par la Cour de cassation, la jurisprudence considère que le propriétaire de la falaise d’escalade, ou son gestionnaire, sont les « gardiens » de celle-ci et donc responsable, sans aucune faute de leur part, en cas d’accident. Il s’agissait en l’espèce de la chute d’une écaille de rocher.
Cette décision a sonné comme un coup de tonnerre. Sur les 2500 sites d’escalade, les deux-tiers sont la propriété de collectivités territoriales, le tiers restant sont des propriétés privées. Les uns comme les autres ne peuvent pas courir le risque financier de voir leur responsabilité engagée en cas d’accident quel qu’il soit. Tout récemment, une grande compagnie d’assurance a écrit aux maires dont elle est l’assureur qu’elle entendait résilier les polices d’assurance si la collectivité est propriétaire d’un site d’escalade. Les élus risquent donc d’interdire progressivement les sites au public.
De son côté, la Fédération française de la montagne et de l’escalade, qui s’efforce depuis 40 ans de développer la pratique, avait conclu plusieurs centaines de conventions de gestion avec des propriétaires publics ou privés, par lesquelles elle se substituait à eux en termes de responsabilité. La fédération étant couverte par son assurance, incluse dans la cotisation de ses licenciés, le mécanisme était rassurant pour tout le monde. Mais le système a volé en éclats avec la nouvelle jurisprudence et la fédération, dans l’impossibilité d’assumer financièrement l’explosion de la prime d’assurances en résultant, a entrepris de dénoncer l’ensemble de ses conventions. On le voit, le risque est grand que dès 2022, des sites naturels d’escalade se voient interdis, au détriment du million de pratiquants et de l’avenir de ce sport.
Nous prenons ici l’exemple de l’escalade mais la plupart des sports s’exerçant en pleine nature sont concernés (canyon, parapente, VTT, randonnée…). Seul le législateur est en mesure d’imposer une solution juridique plus équilibrée. Soit on doit accepter l’idée qu’il existe des risques inhérents à la pratique de ces activités, de sorte que le « gardien » du site n’est pas responsable de plein droit si ce risque, malheureusement, se réalise. Une telle formule présente l’avantage de responsabiliser les usagers tout en atténuant la responsabilité des propriétaires et gestionnaires de sites. On peut aussi aller plus loin et admettre que ces derniers ne doivent voir leur responsabilité engagée que s’ils ont commis une faute (défaut d’entretien, par exemple). Ce dispositif aurait l’avantage de la clarté, la notion de « garde » appliquée à un site naturel étant par elle-même sujette à caution.
Les collectivités territoriales étant les premières concernées, nous souhaitons que l’examen du projet de loi « 3DS » qui a commencé au Sénat fournisse l’occasion de conjurer la menace qui pèse sur les sports de pleine nature.